Bonaventure Gacon : comment j'écris pour le clown
Photo : © Jean-Pierre Estournet, « Par le Boudu » au festival « Scènes de Rue » à Mulhouse, 2011
Bonaventure Gacon me touche par sa profondeur. Son solo « Par le Boudu », créé en 2001, reste encore aujourd’hui, un spectacle phare dans l’art du clown, dont la genèse demeure mystérieuse.
Un clown monstrueux
Le Boudu présente le caractère très ambivalent d’une marginalité barbare qui aime bien les gens. On est touché par la sensibilité de ce monstrueux personnage qui écrit un poème pour son poêle et qui, dans le même temps, pousse des enfants dans son feu pour les manger et croque du verre à la fin de son repas. Ce qui est très intéressant, c’est que Bonaventure Gacon ne rejette pas forcément les conventions théâtrales. En effet, il n’a quasiment pas de rapport avec le public. On pourrait presque dire qu’il joue avec le quatrième mur comme au théâtre. Et de plus, à la fin de son spectacle, une musique vient accompagner la poésie de la séquence sans justification réaliste.
Francis Albiero : « Comment te définis-tu ? »
Bonaventure Gacon : « Je dis que je suis clown. Je n’ai pas encore honte. J’aime bien parce que tout le monde sait ce que c’est un clown et en même temps, il y a une interrogation. Le clown, c'est insaisissable un peu, j’aime assez ! »
F. A. : « Tu es d’accord pour dire que c’est compliqué d’écrire pour le clown ? »
B. G. : « Oui, car ça ne fait pas appel à quelque chose de consciencieux, ça fait appel à quelque chose qui est enfoui en nous, qui est un peu animal ou enfantin. Et du coup faire appel à ça pour écrire, alors qu’on a le sentiment, malgré tout, qu’écrire c’est quelque chose d’intelligent ou d’adulte. C’est une réflexion de se dire comment on va faire rire et tout ça... C’est une démarche intelligente, alors qu’au contraire, il faut se débarrasser de cette démarche-là. Donc quand on dit « est-ce que c’est compliqué d’écrire pour le clown ? » Forcément, ça l’est, quoi ! »
F. A. : « Tu trouves que c’est important de réfléchir à l’art du clown ?
B. G. : « C’est une bonne question ça. Oui et non. D’un côté, c'est intéressant. Ça peut motiver, ça peut donner un axe de travail, ça peut avoir une fonction un peu historique pour la suite, pour les gens qui débutent, etc. Et en même temps, ça peut être un peu un frein, parce que justement, ça place le rapport à l’art d’un point de vue un peu universitaire, un peu intelligent, et ça, c’est une bonne façon de s’éloigner du clown. »
F. A. : « C’est un peu comme quand tu fais des allers-retours du plateau à la table ? »
B. G. : « Voilà, mais moi, je pense que pour faire clown, il ne faut pas aller à la table. Ni caméra, ni aller-retour. Souvent ce qui me gêne dans le travail à la table ou à la caméra, c’est que la conscience prend le dessus sur l’inconscient. On la met au premier plan. C’est elle qui prend du recul, c’est elle qui va décider de ce qui est bien et de ce qui n’est pas bien. C’est elle qui a une morale, c’est elle qui est politique, c’est elle qui fait le rythme de son spectacle, qui sait ce que les gens aiment bien, qui connaît son public. Et toutes ces choses-là polluent le travail du clown. On est habité par ces choses-là, mais il faut les laisser en second plan, les laisser venir malgré soi. Alors que, quand on va à la table, c’est la conscience qui va diriger inéluctablement, ce qui fait que quand on revient au plateau, on est un peu bridé, on va axer un peu plus notre jeu sur cette morale-là, on va essayer de se lâcher alors que ce n'est pas vrai, etc. C’est pour ça que je suis partagé. »
F. A. : « Tu pourrais jouer ce spectacle toute ta vie ? »
B. G. : « Oui, tout à fait ! »
F. A. : « Vas-tu voir d’autres clowns ? »
B. G. : « Oui, bien sûr. Parfois, je tombe sur des merveilles et je suis ravi. Par exemple dernièrement, j'ai vu le cirque Ronaldo qui est un chef-d'œuvre. C’est émouvant, drôle, c’est vraiment génialissime. C’est un clown exceptionnel ! »
F. A. : « Les gens te citent comme l’un des plus grands clowns actuels, qu’en penses-tu ? »
B. G. : « Moi je suis plutôt content que les gens aiment mon travail. »
F. A. : « Pourquoi vas-tu au plateau aujourd’hui ? »
B. G. : « C’est très intime, c’est une manière de transcender quelque chose en moi, une tristesse, quelque chose comme ça, et j’ai toujours été attiré par tout ce qui pouvait tordre la réalité, pour montrer qu’il n’y avait pas qu’une façon de voir les choses, et qu’il y avait d’autres trous de la lorgnette. Et le clown, c'est une bonne façon de montrer ça, sans parler d’une espèce de poésie qui est dénuée de frime dans le clown, et j’apprécie beaucoup cela. »
F. A. : « As-tu quelque chose à dire pour finir ? »
B. G. : « Ça me fait plaisir de t’entendre. Tu me diras si tu as été pris à l’examen. (Rires) Je pense que c’est assez impalpable, et c’est ce qui en fait la beauté et la difficulté de ce travail, c’est insaisissable. »
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