Bonaventure Gacon, fasciné par les clowns qui sortent le rire des tripes !
Crédit photo : © Jean-Pierre Estournet, « Par le Boudu » au festival « Scènes de Rue » à Mulhouse, 2011
Bonaventure Gacon est un circassien formé à l'acrobatie. Mais Le Boudu, le clown qu'il est sur scène, est plutôt un acrobate malgré lui...
Le titre de son solo, « Par le Boudu », est un clin d’œil au personnage de Boudu interprété par Michel Simon dans le film « Boudu sauvé des eaux » de Jean Renoir ou à cet autre personnage de Michel Simon, le père Jules, matelot bougon dans « l'Atalante » de Jean Vigo.
« Boudu, c’est aussi le bout du – le bout du rien, la fin de la plaine. Il est au bout du désespoir et cela se traduit dans une espèce très particulière de comique », confiait Bonaventure Gacon à Stéphane Bouquet dans une interview réalisée pour le Théâtre de la Cité internationale en octobre 2012.
Le Boudu est un clown, un ogre bourru, méchant et dans le même temps un clown triste, fragile, qui s'adresse à l'intime... Il se raconte, se livre et fait naître une poésie brute, instinctive, qui nous touche et nous fait rire, et ce faisant, nous relie à notre humanité.
Jean-Bruno Guglielminotti : « Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview pour La Grande Famille des Clowns ! La source du Boudu semble provenir de son corps animal, d'un état sauvage... D'où te vient cette dimension du Boudu ? »
Bonaventure Gacon : « En fait, j'ai l'impression, même quand je vois d'autres clowns, surtout par exemple quand je vois Arletti, j'ai vraiment l'impression de voir un bestiau ou quelque chose de très ancien, ou d’archaïque ou même un peu chamanique, ou onirique... C'est-à-dire, où tout d'un coup, on aurait fait fi d'une intelligence d'adulte. On redeviendrait gamin... Et du coup, c'est le cœur qui parle ou ce sont les viscères, je ne sais pas ou c'est le geste, ou ce sont des mots d'enfants qui se mettent à parler, comme si on n'avait plus besoin d'une réflexion intelligente. Ça veut pas dire qu'il n'y a pas d'intelligence, parce que l'intelligence elle est dans le cœur, elle est dans la poésie, dans le vif, quoi... Comme par exemple, un chien quand il court, il ne se pose pas la question s'il court, il court, quoi... Il a cette espèce d'élan, de la vie... Et ça, ça me fascine, ça me plaît beaucoup. On le retrouve dans le théâtre bien sûr, dans certaines musiques, dans certains poèmes... Si par exemple dans un poème qui nous touche, on sent bien que l'auteur ne l'a pas écrit consciemment ou en tout cas intellectuellement ; on sent que ça lui a sauté dessus, comme un bestiau, quoi ! Et du coup ça devient touchant, ça devient émouvant ou drôle. Je crois que c'est pour ça qu'il y a autant de gens qui regardent les petits chats sur Internet ! Il y a une espèce de truc comme ça qui me fascine quoi ! »
J.-B. G. : « Est-ce que le Boudu est apparu lors de ta formation au Centre National des Arts du Cirque avec Catherine Germain et François Cervantes ? »
B. G. : « Oui, tout à fait. Moi, ça a été un choc, vraiment quand Catherine et François sont venus donner des stages au cirque, parce que j'étais dans une période difficile de ma vie et, enfin, il y avait une sorte de sens qui m'était apporté par leur travail. Ce que j'adore c'est qu'ils n'ont pas de recettes de clown, des choses comme ça... C'est très juste, sur la sensation, sur le sensitif... Et je trouvais qu'enfin il y avait quelque chose de lié à la poésie, à une force qui ne nous appartient pas. Et du coup, j'ai été tout de suite très emballé par leur travail, même si des fois je ne comprenais rien... Et, en effet le Boudu est apparu dans quelques impros lors de ce travail, ça c'est sûr, même la silhouette, etc.. Oui, ça a été des moments très forts ça. Ensuite quand je me suis mis à travailler tout seul, je suis parti de quelque chose que j'avais trouvé avec eux, bien sûr. »
J.-B. G. : « Et après, tu as cheminé avec le temps ? Comment ça s'est passé ? »
B. G. : « Oui, parallèlement à ça, moi j'avais écrit par exemple le petit poème - si on peut dire écrire - « ah ben dis, ah ben dis-donc... ». J'avais quelques petits écrits comme ça sur la solitude et puis en même temps, une espèce de dérision de sa propre solitude. J'ai écrit par exemple sur cette poêle : il en est amoureux et puis en même temps, il y a la rouille qui est là : l'impermanence, le temps qui passe... J'avais envie de quelque chose de très brut, de très dur, de très direct et en même temps qui parle de quelque chose de très humain, de très triste, de très violent. Et du coup, je vais aller vers ce contraste-là, comme quelqu'un qui va courir en se pétant la gueule en patin à roulettes : en même temps ça développe une espèce de rire par la situation grotesque, clownesque et puis en même temps il y a une espèce de compassion, d'empathie pour ce pauvre bougre qui tombe, qui tombe... Donc j'aimais bien ce contraste. »
J.-B. G. : « Est-ce que des clowns t'ont marqué dans ton parcours ? Et pourquoi es-tu venu au clown, au fond ? »
B. G. : « Moi, j'ai été fasciné. J'ai vu des clowns, notamment je crois que c'était les Licedeï, après il y a eu des clowns tchèques quand j'étais petit et d'autres grands clowns que l'on a pu voir après... Bon, Arletti, je l'ai vue après avoir travaillé mon spectacle, mais j'étais fasciné. Ce que j'ai toujours beaucoup aimé avec les clowns, c'est que justement le rire, il nous sort des tripes. Alors parfois c'est un peu construit, intellectuel... Mais le rire, on sent bien que sa genèse, elle n'est pas dans quelque chose d’intellectuel. J'adore cette sensation, quand c'est dans le public ou quand moi je suis public, c'est-à-dire que tout d'un coup on se retrouve sur une sensation : le rire... C'est quand même très étonnant ! Ce que je dis souvent, c'est que par exemple, il y a beaucoup de gens qui vont voir un clown qu'ils apprécient beaucoup. Alors ils ont beaucoup ri. Et puis après s'ils en parlent à leurs amis par exemple, qui eux ne l'ont pas vu, ils peuvent dire : « Alors là ! Génial ! J'ai beaucoup ri ! » et quand ils vont commencer à vouloir le décrire, on sent bien que ça fait « flop ! ». Moi par exemple si j'essaie de décrire Arletti que j'aime beaucoup ou le clown d'Adèll, enfin des clowns que j'aime beaucoup, je vais dire : « alors voilà, elle arrive... et je sais pas... il a des grosses chaussures un petit chapeau, comme ça... » . Les gens vont me dire « oui, bon et alors ?! » On sent bien que c'est pas définissable cet endroit du clown, cette espèce de rire, il n'est pas définissable... Donc il n'est qu'apprivoisable quand on travaille autour de cet état-là. Et ça me fascine ! Avec tous les progrès scientifiques, on sait toujours pas d'où il vient ce rire, alors que c'est l'un des états les plus fabuleux :quand on a un fou rire avec des amis, par exemple, on se rend bien compte que c'est ridicule souvent comme on rit ! C'est magique ! C'est-à-dire que tout d'un coup le cerveau arrive à tordre la réalité suffisamment pour qu'il se passe quelque chose qui n'est pas contrôlé par le cerveau : on redevient vraiment enfant, on redevient vraiment animal. Ça j'adore, vraiment ! Voilà, moi j'adore entendre les gens rire ou moi rire d'un spectacle. Quand quelqu'un me raconte une blague c'est vraiment un bon moment ! Pour moi et je pense pour beaucoup de gens, les meilleurs moments dans la vie c'est quand on a ri ! »
J.-B. G. : « J'ai cru comprendre que pour toi, le rire peut naître des contrastes par exemple entre des côtés plus durs et plus tendres, grotesques et poignants,... Est-ce que c'est bien ça ? Est-ce qu'il y a d'autres choses qui peuvent contribuer à déclencher le rire ? »
B. G. : « Je pense qu'il y a des situations : des surprises où tout d'un coup on s'attend à ça et le truc est bousculé, il se pète la gueule, il est chamboulé, il est pas du tout là où on s'attendait et ça, ça revient souvent ! Si on peut dire qu'il y a une sorte de ficelle ce serait peut-être là... Mais sinon, je crois que c'est surtout de trouver une espèce d'état qui fait que l'on se surprend nous aussi ! L'atmosphère devient électrique et du coup, il est possible que l'on rie à ce moment-là. Tout d'un coup, même si on est avec des amis ou tout ça, on va sortir quelque chose de complètement incongru, qui ne correspond pas à la chose : il y a un état qui n'est pas saoul, mais qui est favorable à la déconnade, au rire, et ça veut pas dire au n'importe quoi, bien entendu ! Du coup, on peut parler de choses très belles, très intelligentes, très poétiques ou très touchantes parce qu'on s'est autorisé à tordre la réalité, à la changer, à se dire et bien voilà, on n'a qu'à tout bidouiller autrement, c'est ça que j'aime beaucoup ! »
J.-B. G. : « Ça, je l'ai vu sur scène avec « le Boudu », oui, vraiment ! »
B. G. : « Ouais ?! (Rires) Merci ! »
J.-B. G. : « Merci beaucoup à toi ! »
B. G. : « Merci »