Interview d'Hélène Gustin alias Colette Gomette
Silvia Rossini : « Bonjour Hélène ! »
Hélène Gustin : « Bonjour, Silvia ! (rire) Jouons à l’interview. Comment tu… ah non… ce n'est pas moi qui pose les questions ! (rire) »
S.R. : « Comment as-tu commencé à faire le clown ? Et quand as-tu compris que tu étais clown ? »
H.G. : « En fait je faisais rire petite, déjà, donc je ne sais pas quand est-ce que ça m’est venu…
J’ai le souvenir d’avoir fait poiler les classes quand j’étais gamine et, par exemple, je me rappelle un truc au lycée : je mangeais, je prenais la purée avec ma fourchette et puis je mangeais en faisant passer le bras derrière la tête (elle le mime).
Comment se compliquer la vie !
Et c’est marrant j’ai toujours fait rire les petits, les bébés ; très tôt petite déjà je faisais rire les bébés, j’adorais les faire rire... et puis après les copines… mais jamais avec des blagues, jamais avec du verbal, toujours avec des choses physiques, en fait.
Et puis j’ai voulu faire du théâtre ; quand j’étais ado j’ai eu un rendez-vous, comme tout le monde, avec un conseiller d’orientation qui m’a dit :« Qu’est-ce que vous voulez faire plus tard ? » J’ai dit « Je veux faire rire ! » Et il m’a répondu : « C’est pas un métier. »
Et je suis repartie assez… ça m’a marqué. Il m’a dit : « Non mais je comprends, vous ferez ça en loisir, après votre travail. »
Moi, c’était pas du tout ça !!
Mais bon, maintenant je suis très contente, je lui fais un gros pied de nez ! (rire) Donc, le métier c’est un clown….non... Être clown c’est un métier !!! »
S.R. : « Mais tu avais vu des clowns… au cirque ? »
H.G. : « Non, j’ai pas tellement de souvenirs de…
Non, je pense que ma meilleure leçon de clown c’est Tex Avery.
J’ai vu Tex Avery quand j’étais petite et ça, ça m’a parlé.
(À moi) Ton stylo est bizarre… »
S.R. : « Oui, c’est un brin d’herbe… un petit rappel… (ndlr : référence au spectacle « Les hommes ont deux pattes de moins que les animaux » avec Hélène Gustin - 2005) »
H.G. : « Ooooh, quel sens de l’à-propos. (Rire)
Oui, donc…qu’est-ce que je disais ? »
S.R. : « Tex Avery… »
H.G. : « Oui, J’ai compris assez récemment que Tex Avery m’avait donné mes premières leçons de clown parce que c’est très délirant Tex Avery, c’est génial. D’ailleurs vraiment il faut continuer à le regarder. Il y a un imaginaire, une créativité dans le délire qui est … c’est absolument fabuleux, j’aime beaucoup. »
S.R. : « D’ailleurs ton clown Colette Gomette fait penser aux cartoons. »
H.G. : « Oui, il y a du cartoon mais c’est en étant clown qu’au bout d’un moment j’ai cherché à comprendre pourquoi je faisais rire et comment je faisais rire et où était mon humour parce que ce sont des questions auxquelles on ne peut pas répondre tout de suite comme ça. Ce sont des questions difficiles même si ça marche à chaque fois...
C’est assez récemment que j’ai compris vraiment où était mon humour : je pense que j’ai un humour plus absurde que verbal, de jeux de mots… Je dois avoir du sang belge, les belges sont très forts en absurde.
Du coup je ne sais plus quelle était ta question au départ… »
S.R. : « Si tu avais déjà vu des clowns. »
H.G. : « Tex Avery, après les Shadocks tout ça c’était des choses à la télé bien que je ne regardais pas beaucoup la télé, d’ailleurs mais ça m’a marquée. Et puis les premiers clowns… c’est marrant, non… je ne me rappelle pas trop avoir vu des clowns, en fait. Mes parents aimaient aller au théâtre et m’emmenaient et moi je m’emmerdais au théâtre mais j’ai quand même voulu être sur scène, c’est… Allez comprendre quelque chose (rire). Je m’emmerdais dans le public. En fait je ne voulais pas être sur le siège, je voulais être là, de l‘autre côté. »
S.R. : « Quelle est ta définition du clown ? »
H.G. : « Oh (rire) Merci pour cette question formidable !
Je dirais que c’est un personnage qui fait rire, ça c’est la première chose. Un clown qui ne fait pas rire, pour moi, n’est pas un clown.
Donc un personnage qui fait rire mais avec les fragilités de l’être humain. C’est pour ça que le clown est attachant et c’est pour ça qu’il a une force hautement poétique… C’est un anti-héros, il est dans la fragilité…
Il réussit en ratant. Il réussit avec le public en ratant, et c’est quand même un beau pied de nez à la société, aussi. »
S.R. : « On s’identifie à lui, c’est quelqu’un qui a les mêmes fragilités que nous. »
H.G. : « Mais complètement, on s’identifie, on rit parce que le clown fait pire que soi, puis on rit parce qu’on s’y retrouve, on rit parce qu’on voit sa propre connerie, sa propre connerie qu’on cache à tout prix dans la vie, on essaie de ne pas montrer ses travers, on fait tout pour mettre un beau vernis, on s’apprête, on se maquille, on se met des belles fringues, on se cache et le clown, lui, d’un seul coup… il est à poil. Le clown est humainement à poil. »
S.R. : « C’est ça qui est difficile, il faut beaucoup d’humilité… »
H.G. : « Oui parce que le comédien travaille avec ses propres faiblesses ; parce que si on veut avoir une authenticité, si on veut capter le spectateur avec de l’émotion on est contraint à faire appel à ses propres problèmes, difficultés, émotions… C’est génial, moi ça m’a… je trouve ça génial de faire des fleurs des problèmes qu’on a dans la vie, je dis « d’en faire des fleurs », de faire rire les gens avec … »
S.R. : « De les sublimer…. »
H.G. : « De les sublimer, oui… N’ayons pas peur des mots ! (rire) »
S.R. : « Tu penses que tu es née clown ou tu l’es devenue ? »
H.G. : « (Grognement) Je pense que…je pense que cette question-là me…J’en sais rien en fait. Je suis une grande angoissée, et ma manière de vivre correctement c’est de m’alléger, donc j’ai un besoin de rire, j’ai besoin de faire rire les gens, j’ai besoin d’alléger la vie, alors peut-être je suis née pour ça. Est-ce que je suis née clown ? Du coup j’ai des facultés avec ça parce que c’est vital, sinon je n’irais pas bien. C’est tellement vital que ça sort de soi, parce qu’il n’y a pas le choix. Et puis après il y a un gros, gros apprentissage. J’ai énormément appris en étant clown, être clown est un énorme boulot. Je le compare souvent au jazzman qui possède son instrument, il fait corps avec son instrument, l’instrument fait corps avec lui. Le nez rouge c’est pareil. Il faut avoir cette porosité entre l’acteur et le clown et connaître son personnage sur les bouts des doigts et il faut avoir énormément travaillé sur le timing… la gestuelle dont je parlais à l’instant il faut la créer à partir de sa propre gestuelle mais il faut d’abord la digérer pour pouvoir la « parler » sans la penser. Si je prends un objet, moi maintenant je le prends en Colette Gomette je ne me dis pas « Oh là, il faut que je fasse mon geste pour prendre l’objet ». Mais au début oui, quand on travaille la gestuelle il y a un moment où on passe par cette zone où les gestes - j’avais un petit carnet, je les ai notés. C’est marrant j’étais chez mon ostéopathe ce matin puis on a eu une grosse discussion sur l’être et le faire et… Ça y est je perds mon fil… purée… il était bien mon fil. Le geste est porteur de poésie, le verbe réduit la poésie parce que le verbe est beaucoup plus précis quelque part, il peut être compris différemment tandis qu’un être, dans sa manière de bouger, va énormément en dire aux autres. Et l’autre, en face, qui le regarde, va le percevoir, il ne va pas avoir des mots pour le définir, il va le percevoir et pour moi il y a un endroit qui est de l’ordre de la vraie communication, qui n’est pas trafiqué, de qualité, avec une très grande authenticité.
Ça nous échappe même. Je me dis que j’ai presque envie de ne plus parler aux gens (rire)… imagine les repas entre amis…! »
S.R. : « Comme Colette Gomette qui ne parle pas, enfin elle parle en grommelot. J’ai remarqué d’ailleurs que dans Colette Gomette Prézidente, elle parle un petit peu… »
H.G. : « Oui oui, à un moment donné je me suis amusée… J’ai ouvert cette porte du verbe après des longues années où j’ai laissé mon corps parler. Et cette porte je me suis dit « Oh purée, je peux déformer, je peux retourner les mots, je peux… Il y a plein de choses à faire avec ça. Le grommelot c’est la base, on ne comprend rien mais insérer dans le grommelot une amorce de phrase, un mot que presque on comprend mais non, en fait non, c’est un mirage… c’est très drôle en fait, et je ne suis pas encore allée au bout de ce travail-là. Je suis encore en pleine exploration, c’est un chantier énorme. Mais à la base Colette Gomette ne parle pas, c’est clair. Ça m’a amusé à un moment donné de la faire parler, de lui faire dire n’importe quoi ou presque n’importe quoi, parce qu’il y a l’auteur Hélène derrière qui essaie de gérer, mais en tout cas, ça m’a plu d’ouvrir cette porte.
Au départ, je n’étais pas du tout, pas du tout dans la parole, au début j’en ai fait un gros complexe « je suis bloquée, je suis coincée, j’ai un blocage, il faut que je dépasse mon blocage (rire), il faut que je travaille.. » etc. Et puis j’ai rencontré Alain Gautré qui m’a dit « Non ! C’est pas là ta place, ne cherche pas à être comme les autres, tu es différente et c’est ça qui est génial ! ».
Et puis après j’ai fait son premier stage clown et écriture… et je me suis rendue compte que Colette Gomette était analphabète ? Comment ?
On avait un travail de préparation, il fallait qu’on amène des livres clown et anti-clown, côté intellectuel, moi… Il y a des gens qui ont amené des livres fabuleux « Mais oui ! Pourquoi je n’ai pas pensé à ça ! » J’étais jalouse ! Par exemple, quelqu’un avait amené un bottin ! Un ancien bottin de téléphone ! Je le trouvais l’idée géniale ! J’aurais voulu avoir cette idée-là.
Moi j’ai séché total, j’ai bloqué total et j’ai amené un petit livre de rien du tout avec des lettres de l’alphabet dans tous les sens et des pages blanches à l’intérieur. C’est juste ça que j’ai amené, tous les autres avaient des piles de bouquins.
Et Gautré m’a dit « C’est formidable : Colette Gomette est analphabète !»
Et puis après, ça m’a complètement délivrée et ôté de la tête cette idée que je n’étais pas normale et je me suis engouffrée dans ma liberté, on a une liberté infinie donc je n’ai jamais été cloisonnée.
Quand on est clown, si on commence à se sentir limité, c’est pas bon signe.
Il faut ouvrir, il faut jamais se dire « c’est terminé ! Mon clown ça y est je l’ai ! »… en plus il évolue avec soi. Il faut ouvrir grand les fenêtres, garder cette ouverture. »
S.R. : « Quand est née Colette Gomette ? »
H.G. : « Colette Gomette a été baptisée en 199…5 (ndlr : par André Riot-Sarcey). Ce n’est pas moi qui l’ai baptisée d’ailleurs, j’ai gardé ce nom mais il a un petit défaut important pour moi. J’en ai fait l’impasse mais je n’aurais pas dû. »
S.R. : « Quel est ce défaut ? »
H.G. : « C’est la gommette ! Parce que le clown est associé à l’enfant et moi je ne suis pas un clown pour enfants, je suis un clown tout public, je suis pour enfants ET pour adultes ET pour personnes âgés Et pour les chiens ET pour les os des chiens ! Je veux dire : j’ai pas de limites d’âge, je suis clown pour l’être humain et de réduire le clown à un personnage pour les enfants ça me blesse, c’est réducteur. Et la gommette donne cette idée de clown pour enfant.
Ce qui me plaisait par contre, c’était le rythme :« schtoïng schtoïng »ColETTE GomETTE… ça rebondit.
J’ai beaucoup aimé le côté sonore, et comme je suis beaucoup plus dans les sensations que dans l’analyse intellectuelle, c’est ça qui m’a plu, donc je l’ai gardé. »
S.R. : « Je pense que maintenant c’est clair pour tout le monde que tu es un clown tout public. »
H.G. : « Oui oui, j’espère ; oui oui, je pense. OUI ! Il faut le croire ! Le public et les programmateurs sont toujours à éduquer… je ne sais pas s’il faut le dire… D’abord on ne se rend pas compte du travail qu’il faut faire pour devenir clown et on ne se rend pas compte de la portée universelle et poétique du clown et à quel point on peut dire des choses avec ce personnage ; pas uniquement faire rire. Et même si c’était uniquement faire rire, purée : c’est génial aussi de « uniquement faire rire ! »
Et on peut aller bien au-delà et c’est un art… comme disait Alain Gautré : c’est un art majeur. »
S.R. : « Alain Gautré a compté beaucoup pour toi... »
H.G. : « Oui parce que Alain Gautré mettait… malheureusement il est décédé et ça a été une grande peine… il mettait le clown haut dans l’échelle de l’art, il avait une exigence et un regard et une connaissance…. Faire une impro devant lui c’était un sacré challenge. Alors aussi il pouvait être un très très bon public, il se levait des fois, il pleurait. Il se levait de rire de sa chaise et des fois, il pleurait de rire. C’est beau ! C’était un intellectuel, un homme très documenté, très cultivé, avec des références énormes que je n’ai pas du tout, très pointu. Il t’amenait toujours au-delà de ce que tu avais fait en impro, c’était toujours immense ; dans la qualité du jeu, dans le détail, dans la finesse, dans l’extrême… Moi c’est ça qui me régale, c’est la finesse du jeu, c’est de faire de la dentelle. J’adore, quand j’ai un spectacle, je le bouge jusqu’à tant que je ne le joue plus parce que, à l’intérieur, je continue à peaufiner… J’ai mon petit papier de verre, je fais les angles, je fais les coins, je vais gratter dans les petits trous… et ça j’adore. »
S.R. : « Et ce n’est jamais fini... »
H.G. : « En fait c’est jamais fini. »
S.R. : « J’ai vu ton solo au début et un an après et il y a énormément de choses qui ont bougé. Et tu parlais tout à l’heure des choses que peut dire un clown : dans ton solo il y a une idée forte ! »
H.G. : « Oui ! En fait l’idée de Colette Gomette Prézidente… j’ai placé mon clown qui est inculte et analphabète à cette place de Présidente. J’ai écrit le spectacle avant l’élection de Trump ; parce qu’on pourrait croire que je me suis inspirée de lui mais ce n’est pas vrai, c’est l’inverse en fait : c’est moi qui ai inspiré Trump ! (rire)
Quand on voit à quel point on est berné par les politiciens... c’est pour ça que je ne m’intéresse pas du tout à la politique dans la vie et c’est pour ça que j’ai écrit ce spectacle ; parce qu’en même temps je suis coupable parce que c’est comme ça qu’on peut avoir des gouvernements terribles. On nous ment tout le temps on ne sait plus où est la vérité, la langue de bois, les règlements de compte, les intérêts personnels, les machins, les trucs… ils se matraquent les uns les autres ils essayent d’avoir l’argument qui fait que… pour moi c’est inintéressant total !
Donc mettre quelqu’un très inculte à cette place, et faire en sorte que le public approuve son discours inintelligible, parce que je fais bêler les spectateurs pendant le spectacle, les conduire comme des moutons de Panurge au bord de la falaise, c’était ET me moquer de moi par rapport à mon désintérêt pour la politique, me critiquer, m’auto-critiquer, ET au même temps faire rire les gens en leur faisant jouer le jeu de la bêtise, parce qu’on peut être très manipulables, on peut suivre sans réfléchir… Il y a plein d’exemples dans l’histoire… et il y a encore des vagues de régimes extrêmes. Là… je ne pensais pas être autant au cœur de l’actualité. »
S.R. : (En regardant la photo de Colette Gomette qui est sur le mur) « D’ailleurs vous avez à peu près … non, les cheveux de Colette Gomette sont plus foncés que ceux de Trump ! »
H.G. : « Oui, mais bon, au niveau de la tronche… quand on voit… (rire) »
S.R. : « Oui, il y a quelque chose… Donc ça c’était l’idée de départ puis il y a des choses qui sont venues avec le travail… »
H.G. : « Oui parce que, après l’idée, la difficulté a été : « comment transposer en clown un sujet qui est autant verbal ? » Moi je voulais faire un spectacle non verbal, bien que je parle en grommelot donc j’utilise un peu la parole mais au regard de tout le spectacle c’est très peu, finalement.
Et donc je me suis plus intéressée au comportement.
Parce qu’il y a le comportement gestuel du politique, il y a tout ce qu’il raconte en dehors de ses mots : sa manière d’être, son rythme, sa nervosité, son aplomb. Mussolini a été une énorme source d’inspiration parce que Mussolini… mais c’est extravagant ! !Il était tout petit en haut d’un podium géantissime, on voyait un tout petit mec… il y a un ridicule là-dedans qui est génial ! Et au même temps il était d’une théâtralité fabuleuse ! Avec ses petits rebonds sur les pieds… sa manière de croiser les bras avec amplitude, et ses yeux... il avait les yeux qui regardaient… Il regardait partout à la fois. Et c’est impressionnant le pouvoir qu’on peut avoir sur les autres rien qu’avec une attitude !
Et puis il y a toujours quelque chose qui m’a … de toute ma vie il y a quelque chose qui m’a frappée je ne sais pas d’où c’est venu... peut être à l’église parce que mes parents sont croyants donc j’allais à l’église quand j’étais petite. Les curés ont tous la même manière de parler, les mecs de la météo à la télé ont tous la même manière de parler... l’habit fait le moine. Selon la fonction, on adopte une certaine façon de parler. »
S.R. : « Et les gestes aussi. »
H.G. : « Et les gestes aussi, voilà. On rentre dans un réseau : les snobs « écouteeez, très chèèèère… » ils allongent les mots, ils ont leur manière de parler, ils se reconnaissent entre eux… les curés peuvent très bien se reconnaître entre eux. Les ados qui parlent verlan et « ta gueule …ta mère… » Ils parlent aussi tous pareil et on a besoin de cette reconnaissance du groupe comme ça. Et moi ça m’interpelle sur l’individu là-dedans. Qui est-on là-dedans ? Et ce moutonnage me fait peur. C’est pour ça que l’attitude corporelle et ce qui transpire au-delà de la signification des mots fait énormément sens et beaucoup plus qu’on ne pense.
Et d’ailleurs, beaucoup de gens à la sortie de mon spectacle me disent « On n’a rien compris et on a tout compris »
Après, transposer… j’ai beaucoup cherché comment aborder des sujets politiques, je parle des pauvres, des étrangers, j’ai trouvé des déclinaisons qui restent dans le clown qui sont métaphoriques. C’était un challenge pour moi, je me suis un peu prise la tête. Il a fallu que je réfléchisse ! »
S.R. : « Donc tu as quelques mots clés qui surgissent de temps en temps et, quand tu joues à l’étranger ? »
H.G. : « À l’étranger je fais traduire quelques mots… Quand je tourne la page je dis : « Rase-moi la mout ! » alors à l’étranger… La traduction n’est pas facile ! »
S.R. : « J’allais justement te demander la traduction de « rase-moi la mout ! » »
H.G. : « (Rire) C’est intraduisible donc il faut expliquer l’intention.
Au Brésil je disais « abakaxi », parce que « abakaxi » veut dire « ananas » mais aussi prise de tête.
À l’étranger je dis un peu moins de mots quand même. Je simplifie, ce qui est toujours très intéressant parce que ça oblige à revenir à l’essentiel. »
S.R. :
« À part Alain Gautré
il
y a eu d’autres personnes qui t’ont
influencée
et aidée à devenir ce que tu es aujourd’hui ? »
H.G. : « Alors, à part Alain Gautré il y a Alain Gautré (rire), non je déconne… je blague mais pas tant que ça parce que c’était un monsieur énorme, gigantesque.
À part lui, j’ai commencé avec André Riot Sarcey et c’est lui qui m’a appris comment travailler la gestuelle de mon clown, c’est avec lui que j’ai fait mes premiers pas, j’ai appris des choses de lui, oui. C’est marrant, moins sur le moment qu’après, des années après des choses me sont revenues. Après ... je ne sais pas… (fait passer son bras derrière la tête) »
S.R. : « Tu es en train de faire le geste de la fourchette, là… »
H.G. : « De la fourchette ? Ah oui ! (rire) »
S.R. : « C’est ça : le clown complique toujours les choses qui sont simples. Il a une façon de voir autrement les choses, autrement le monde. »
H.G. : « OUI, c’est ça. »
S.R. : « Tu es clown de théâtre mais tu es aussi clown à l’hôpital. Comment tu es rentrée au Rire Médecin ? »
H.G. : « J’ai auditionné. J’avais une petite résistance à faire ce travail-là parce que j’avais peur que ce soit de l’animation. J’avais peur de faire de l’animation, de la sculpture de ballons, et tout ce que je déteste et en fait quand j’ai rencontré l’équipe des clowns - à l’époque c’était une toute petite équipe, je me suis dit : « Wow, c’est des vrais comédiens qui cherchent, qui bossent ! OK ! » Donc j’ai passé l’audition, j’ai été prise. C’est vrai que l’équipe est fabuleuse, et de travailler auprès d’enfants hospitalisés, de travailler dans un contexte de maladie ça développe entre les comédiens de l’équipe une humilité, un coude à coude, une solidarité qui est rare, extrêmement rare. C’est aussi un laboratoire où j’ai fait toutes les expériences, j’ai fait toutes mes expériences à l’hôpital. Comme j’étais un clown très très speed au départ, j’ai beaucoup appris l’immobilité. Je me suis beaucoup entraînée à l’hôpital. »
S.R. : « Il y a un travail d’écoute très particulier, il faut comprendre jusqu’à quel point on peut aller… »
H.G. : « Il faut pouvoir transgresser, il faut pouvoir aller au-delà tout en n’allant pas trop loin mais il faut quand même dépasser la ligne, sinon on est clown fonctionnaire et c’est pas possible. Il faut être fou, dépasser la ligne mais il faut être capable de HOP ! ressauter à pieds joints direct de l’autre côté, plus sage.
Moi je suis assez gonflée à l’hôpital ; on a des clowns différents moi j’ai un clown très organique et qui, du coup, se fait vite pardonner : je décoiffe les gens, des fois je crève la bulle des gens facilement et j’ai des partenaires qui me font la remarque : « Oh purée je ne pourrai jamais faire ça !»
Mais les gens l’acceptent de moi, c’est comme ça ; ça passe, je ne sais pas pourquoi.
Et puis, ce qui est très touchant à l’hôpital, c’est de rencontrer des gens de toutes cultures, de tout niveau social, de toutes religions, c’est très très riche et puis il faut trouver la clé. Sur des œufs à chaque fois mais en fait on se rend compte qu’on peut aller très loin. On peut toujours aller très loin en clown et on peut toujours faire marche arrière.
Et la marche arrière doit être… il faut pas rester sûr de soi, ça ne peut pas marcher si on reste sûr de soi. Il faut à un moment donné baisser la tête, dire « Ooh, j’ai fait une grosse connerie », il faut être capable de regretter à mort ce qu’on vient de faire et de l’assumer en clown.
Parce que c’est comme ça qu’on se ré-humanise et qu’on se fait pardonner.
Et moi quand j’enseigne, je dis toujours ça, je dis : « Vas-y pousse, pousse pousse loin, tu vas voir dans les yeux des gens, tu vois une petite mimique, tu comprends que tu touches la limite... il faut être hyper attentif … un petit sourcil chez la personne qui se fronce TAC ! Terminé ! Retrogradage ! » Cling cling cling…il faut avoir ses antennes bien sorties, bien développées et si on est embêté et qu’on cherche à se faire racheter, on est aimé direct, de nouveau. On s’en sort bien. Ça m’est arrivé vraiment très rarement d’avoir quelqu’un qui réagit mal, peut-être deux fois en 22-23 ans de clown à l’hôpital.
Voilà, c’est un entraînement de clown qui est irremplaçable parce que je ne sais pas combien de jours de clown ni combien de fois j’ai endossé le personnage, mis le costume… ça, plus les spectacles il y a un nombre, je ne sais pas… je pense que ça doit être dans les 1500-2000 je ne sais pas il n’y a pas beaucoup de spectacles ni de personnages qu’on joue autant que ça, autant de fois. »
S.R. : « À propos de costume, tu as trouvé le costume et c’est la peau de ton clown. »
H.G. : « Le costume ça n’a pas toujours été ça, il est venu petit à petit.
Ce qui était sûr au départ, c’était la jupe courte, parce que je bouge beaucoup et j’avais besoin d’avoir mes jambes à l’air, le ressort : la jupe a un cerceau, le coté ressort reprend le coté dynamique du personnage et puis après, les poils de dessous de bras : un jour je cherchais un élément nouveau, « Il faut que j’aie une invention, il me faut un truc ! », et j’aimais bien les collants d’Alfredo Fratellini avec les poils et je me disais « Et si je me faisais un collant avec des poils »... « Ah, les poils de dessous de bras !!! » et j’ai trouvé la déclinaison féminine des poils aux jambes.
Et puis la serpillière, c’est pareil ; j’arpentais un supermarché un jour, à la recherche d’idées, j’ai fait les rayons de long en large et puis je me suis arrêtée au ménage… et puis je vois des serpillières de couleur. « Ah, tiens ! » Voilà, en clown il ne faut pas faire des choix parce que c’est drôle, non non ; c’est que mon clown, comme il est inculte, analphabète comme j’ai dit, il est novice sur tout, donc un tissu c’est un tissu, ça fait sens. C’est pas que pour le gag. C’est là où c’est hyper important, parce que on peut faire du gag et on peut faire du poétique, c’est pas la même chose.
T’as vu, je parle, hein ? (rire) »
S.R. : « Quand j’ai parlé du costume je voulais dire qu’on reconnaît Colette Gomette tandis qu’il y a des clowns qui ont beaucoup de personnages différents. »
H.G. : « C’est là que je rejoins la BD, c’est vrai.
Colette Gomette c’est UN personnage.
Mon costume est légèrement différent au théâtre ou à l’hôpital mais il y a très peu de différences... Oui, c’est parce que je suis “chez moi” dedans, donc pourquoi changer ? »
S.R. : « C’est vraiment la peau de ton clown. »
H.G. : « Oui. Tout me donne du jeu. Le chapeau je le descends sur les yeux je ne vois plus rien, je peux le tourner en chapeau de soldat, les poils de dessous de bras ont des scratchs, je peux les déplacer sur la poitrine… ou ailleurs... »
S.R. : « Sur la tête du public (rire) »
H.G. : « Oui, sur la tête des chauves…! La serpillière joue parce que c’est un certain tissu reconnaissable…
La robe, elle, se soulève, c’est ça qui est bien : que le costume donne du jeu. Quand on a trouvé son endroit… Récemment je me suis dit « tiens, je vais changer ! » mais j’y perds quelque chose, parce que ça me donne moins de jeu. Certains disent « on a plusieurs clowns », d’autres disent qu’on n’a qu’un clown, moi franchement j’ai un clown et j’ai une liberté totale avec, donc je ne vois pas pourquoi j’en aurais d’autres.
J’ai un clown, je peux être dictateur comme dans ce spectacle, je peux avoir deux ans, je peux tout faire, c’est moi derrière, le lien c’est moi.
Avec ma partenaire autrichienne (ndlr : Tanja Simma) dans notre spectacle « THE ONE & the one » je suis devenue le clown blanc,, c’est à dire le clown qui a de l’autorité sur l’autre. J’ai une autorité mais conne… à deux balles et je m’amuse beaucoup avec ça. J’aurais pu me dire « non, mon clown n’est pas autoritaire, il sait pas… » »
S.R. : « C’est vrai que je t’ai vu dans le trio R-Bag où tu étais le contre-pitre parfait ! (ndlr : "Üt", concert avec le trio R-BAG, mise en scène Alain Gautré - 2011) »
H.G. : « Ah oui, total ! »
S.R. : « On ne s’y attend pas de te voir en clown blanc, j’ai hâte de voir ça ! »
H.G. : « T’as pas vu encore ? »
S.R. : « Est-ce que « THE ONE & the one » va passer en France, à Paris ? »
H.G. : « Oui, à Paris on va jouer neuf représentations à partir du 18 octobre au théâtre Clavel et puis au Samovar les 23 et 24 novembre.
Voilà, on peut avoir l’autorité et être très rouge quand même. »
S.R. : « Rouge ? Très « auguste » ? »
H.G. : « Oui, très Auguste.
On peut se la péter plus haut que son nez, c’est-à-dire y croire mais ne pas du tout être capable. On rejoint le rouge. »
S.R. : « Donc c’est du maquillage blanc sur du rouge. »
H.G. : « Oui, c’est juste qu’on lui a prêté une veste. (Rire) »
S.R. : « Je crois que, entre les questions que je t’ai posées et celles auxquelles tu as répondu sans que je te les pose (rire) on a dit beaucoup de choses… Tu sais qu’il y a quelqu’un qui a eu l’idée de réunir tous les clowns dans une famille, La GfdC. il y a un site, maintenant. Tu penses que ça peut aider les clowns ? »
H.G. : « Mais carrément, mais oui ! Mais allons-y, bien sûr ! »
S.R. : « Tu aurais des conseils, des idées ? »
H.G. : « J’aurais des questions, à qui ça s’adresse... ? »
S.R. : « Le site s’adresse aux professionnels, aux amateurs et au public. »
H.G : « Je trouve ça super, je trouve ça vraiment bien et je trouve que tous les clowns ont des univers différents, donc ils sont tous à voir. On va avoir une sensibilité qui va plus vers l’un ou vers l’autre mais chaque spectateur est différent et voilà : c’est comme les rues où il y a plein de marchands de chaussures. »
S.R. : « C’est vrai qu’il y a énormément de styles de clown différents… il y a une très grande variété dans le mot clown. »
H.G. : « Je ne sais pas… J’aurais bien aimé dire un truc bien, un truc très intelligent sur ce site… mais je ne sais pas ! »
S.R. : « Il y a beaucoup de clowns qui ne portent pas de nez, Colette Gomette porte un nez. »
H.G. : « Pour moi c’est un choix, parce que j’ai un attachement organique au nez c’est la truffe, le flair, comme j’ai un clown un peu animal et puis c’est un masque et moi je joue beaucoup avec mon corps, je suis dans le jeu masqué. Je me suis posé beaucoup cette question, je l’ai retiré… »
S.R. : « Ta partenaire de jeu, Tanja Simma, ne porte pas de nez. »
H.G. : « Oui… Elle l’a remis…avec moi ! »
S.R. : « Un conseil à donner à quelqu’un qui veut devenir clown aujourd’hui ? »
H.G. : « J’ai envie de dire : prendre la mesure de l’ampleur du clown… c’est un travail de longue haleine, qu’on peut approfondir longtemps, ne pas se satisfaire des premières choses qu’on trouve.
En clown on est auteurs et on écrit aussi nos propres spectacles on court le risque de faire des potages... de faire de la soupe, c’est le risque du clown. C’est pour ça que les professionnels ne sont pas très très fans du clown. Il y en a beaucoup qui sont méfiants par rapport au clown parce que les spectacles sont souvent mal écrits ou les personnages ne sont pas toujours aboutis.
Moi je suis très sensible à la poésie même si j’ai mis du temps à comprendre, c’était Alain Gautré qui employait ce mot-là et moi je ne comprenais pas la poésie : c’est tout ce qu’on ne dit pas, tout ce qui transpire du personnage, c’est l’histoire que le public peut se raconter. Quand on touche à ça, c’est magnifique. Donc voilà, je dirais ça. Parce que, on peut faire rire sans poésie.
Moi j’ai toujours eu envie de faire croire à un personnage… que le public oublie l’acteur, oublie totalement qu’il y a un acteur derrière. Il devient tellement vivant qu’il en efface le comédien.
Si on regarde bien ce n’est pas le cas de tous les clowns. »
S.R. : « Il y a un moment dans la loge, avant de rentrer sur scène où d’Hélène tu deviens Colette Gomette , comment ça se fait ? »
H.G. : « Non, je mets le costume et puis c’est comme ça… oui, si, si je me chauffe en coulisse mais je suis un lion en cage avant de rentrer en scène, j’arpente alors quand j’ai un mètre carré je te dis pas… Des fois je déconne… ça dépend complètement de l’état dans lequel je suis.
J’essaie de gérer mon état, je suis très traqueuse avant le spectacle, alors je peux avoir des tracs agréables mais je peux avoir des tracs forts. »
S.R. : « Alors merci pour cette interview, bravo !
On se prend une photo pour la GFdC ? »
H.G : « Bien sûr ! »