Person
16 rue des remparts, Drôme, 26150 Die
On ne peut exercer « ce terrible métier de faire rire les honnêtes gens » sans mener un travail exigeant d’acteur-actrice. Il y a sans doute une part innée dans la capacité à faire rire le monde (la vis comica) qui affronte tous les paradoxes inhérents à l’art vivant de la représentation. Cela consiste à mener un travail technique, qui donne une certaine maîtrise de son art, tout en acceptant de se laisser dépasser, de laisser échapper son intime et devenir ainsi auteur de soi-même. L’acteur-actrice se positionne comme médiateur-trice entre soi et son clown. Cette triangulation essentielle permet une mise en jeu de soi-même tout à la fois impliquée et distanciée.
Je privilégie une recherche sur l’essence plutôt que sur le caractère, afin d’aider à se défaire plutôt qu’à re-faire, à se dépouiller de ses habitudes, de ses conditionnements pour laisser émerger ce qui est prêt à advenir ; à explorer la partie immergée de l’iceberg, à voyager dans ses paysages intérieurs avant de donner forme à la partie émergée qui prendra l’allure d’une silhouette (corps, voix, rythme, costume et maquillage); à peaufiner l’attitude qui projète quasi instantanément dans un rapport clownesque au monde; à oser le silence. Cette posture, liée à une respiration intense entre l’intérieur et l’extérieur, permet de saisir l’espace entre toute chose. De cette extrême réceptivité nait l’action qui n’est en réalité que ré-action. Cette recherche fondamentale aboutit à une mise en forme définie, mais non définitive, lisible et reproductible de la Créature (le Clown), sorte de double dérisoire de soi-même.
La technique se travaille à partir d’un ensemble de gammes qui visitent tous les fondamentaux . Elles sont établies autour de la notion de musicalité (tempo-rythme, ruptures, variations), de séquençage (entrée-préparation-exécution-appréciation-sortie), de dissociation corporelle (haut-bas, asymétrie, oppositions), du masque neutre, de la triangulation du regard (soi, l’autre, le monde), de l’engagement énergétique (les 5 niveaux, l’échelle de Beaufort, opposition vitesse-intensité), de la plasticité émotionnelle (respiration, dilatation, retenue). Elles sont ensuite mises à l’épreuve à partir de canevas simples avant d’être éprouvées dans des improvisations individuelles ou collectives. Intervient alors la part d’auteur chez l’acteur/clown appelé à déployer une écriture en direct dont il-elle pourra se saisir pour enclencher, si ce n’est un spectacle, tout au moins un numéro, communément appelé « entrée ».
L’utilisation du Nez rouge inscrit le clown dans le registre du jeu masqué qui impose un ensemble de règles. Le nez figure un passage important dans un monde que je qualifie de sur-naturel, donc de fantastique. Il induit un rituel qui ne peut être négligé. Pour asseoir cette dimension rituelle, je choisis de marquer trois espaces distincts : la loge (espace d’évocation), la coulisse (espace d’invocation) et la piste (espace de provocation). La loge est considérée comme un espace privé de l’acteur-actrice où se déploie un ensemble d’images, d’objets, d’accessoires qui permettent d’évoquer le clown. La coulisse, espace d’invocation, d’imminence et d’élan. La piste, espace de provocation de soi-même, de son partenaire ou du public, est un lieu de défi. Je prête une attention toute particulière aux passages d’un espace à l’autre : de la loge à la coulisse se joue une préparation, de la coulisse à la piste se joue l’entrée, de la piste à la coulisse se joue la sortie, de la coulisse à la loge, le retour à soi. Cette structuration donne un cadre libérateur.
Aller à la rencontre de son clown, c’est oser son ridicule. L’essentiel du travail de recherche consiste à se laisser jouer, à laisser place à son clown quand il pointe son nez. Les consignes multiples qui posent un cadre doivent être toujours considérées comme prétexte et elles-mêmes sources de jeu. L’apprentissage passe par la capacité à jouer la consigne, puis jouer avec la consigne pour enfin déjouer la consigne. C’est la quête d’une joie, d’une puissance, celle d’être vraiment soi en s’offrant d’être un-e autre, libre de toute norme imposée.